Oleanna

David Mamet - adaptation Pierre Laville | du 13 octobre au 14 novembre 2021

Un huis clos incandescent sur le pouvoir et les dérives de nos sociétés.
Un duel d’une puissance peu commune.

DISTRIBUTION 

Juliette Manneback
David Leclercq

 Metteur en scène : Fabrice Gardin
Scénographie et costumes : Lionel Lesire
Assistante : Sandra Raco
Création lumières : Félicien Van Kriekinge
Création sonore : Laurent Beumier

QUELQUES PHOTOS

© Isabelle De Beir/ Kim Leleux

POUR EN SAVOIR PLUS 

Un huis clos incandescent sur le pouvoir et les dérives de nos sociétés.

John, professeur d’université, reçoit dans son bureau Carol, une étudiante en difficulté qui pense avoir échoué à son dernier examen. Celui-ci lui propose un marché : il lui octroiera la note maximale si elle accepte de venir le voir régulièrement pour des cours particuliers. Devant cette proposition ambiguë, la jeune fille se rebelle et s’engouffre dans la faille, l’accusant publiquement de harcèlement. Une lutte sans merci s’engage, où les rapports de force et de classe sont pervertis par les désirs inavoués.

Dans la suite du mouvement #MeToo, Oleanna annonce, à travers le face à face âpre et trouble entre un professeur et une étudiante, la chute de l’ancien monde, celui du patriarcat et des privilèges de classe, avec l’avènement d’une nouvelle forme de contestation. En ces temps de surveillance chirurgicale des comportements, il est pertinent de remettre à l’avant-plan ce récit qui cherche à créer une conversation autour de ce grand mouvement de dénonciation des harcèlements sexuels et psychologiques. Quand tout devient blanc ou noir, il est important de soulever le voile sur les nuances, sur les perceptions. Chaque histoire a une réalité. Certaines méritent un châtiment, d’autres méritent l’analyse.

Un duel d’une puissance peu commune.

​Fabrice Gardin

​Entretien avec Florian Zeller

Pourquoi monter « Oleanna » ?

L’envie d’un spectacle démarre toujours du plaisir de la lecture. Je lis et relis ce texte depuis des années et j’y ai toujours pris du plaisir. Ensuite, il faut convaincre le producteur. Dans ce cas-ci, l’actualité et la pertinence du propos ont été les arguments. David Mamet, qui a une écriture vive et moderne, planche ici sur la notion de pouvoir à travers la confrontation d’un professeur d’université et sa jeune élève. Il a écrit cette histoire aux débuts des années 90 à la suite d’un fait divers américain et voilà que le mouvement #MeToo passe par là et ravive le sujet. Il est ici question d’abus de pouvoir, de relation intergénérationnelle, de vision différente de la société, d’abus sexuel et de l’impossibilité de communiquer. Car, finalement, nos deux protagonistes n’arrivent pas à se parler, c’est-à-dire à s’écouter, échanger, s’entendre. Comme s’ils étaient dans la même pièce mais avec un mur entre eux. Parlant de la même chose mais sans être parti du même constat ni avoir pris le temps de définir la cartographie de la demande, du sujet, ils se perdent et se confrontent alors qu’ils auraient pu s’entendre.
​Blessée par l’attitude de John qui se permet de mettre en doute les valeurs des études supérieures pour lesquelles elle se saigne dans l’espoir de réussir et de devenir quelqu’un, Carol se vengera du cynisme de ce professeur emporté par ses désillusions.

Donc, vous aimez l’écriture de Mamet et vous trouvez que c’est pertinent de monter son texte aujourd’hui ?

Oui, c’est un beau raccourci. J’aime Mamet car il écrit vraiment pour le théâtre. Il sait de quoi il parle. Les réponses au travail de mise en scène sont dans le texte. On avance grâce à ses mots mais aussi à la ponctuation, aux silences, aux pauses, aux didascalies, … Il n’y a pas de gras, de perte de temps, de circonvolution chez lui. Les protagonistes ne disent pas un mot de trop et s’il en manque un, c’est consciemment, pour pousser le spectateur dans ses retranchements. On a besoin d’un public en alerte. Qui écoute et cherche et découvre avec nous. D’ailleurs, le public est le seul à savoir ce qui s’est réellement passé, car dans son enquête, la commission a forcément une idée biaisée de la réalité.

Le trait le plus évident de ce texte est son ambiguïté. Si on considère l’histoire dans un sens, on est d’accord avec le point de vue de l’homme. Si on la considère dans un autre, on est d’accord avec Carol. Le texte est traversé par une incroyable série de pulsions, la pièce ouvre de nombreuses portes et soulève des questions aux racines profondes. Il y a un mystère qu’on ne peut pas tout à fait résoudre, quelque chose de l’ordre de l’irrationnel.

Aujourd’hui, on pourrait croire qu’on ne peut plus rien dire. On ne peut plus s’adresser à une femme, un juif, un homme de couleur… sans réfléchir à l’avance à la façon de le dire. Sous peine de retour de flamme. Nous sommes coincés dans une espèce de bienséance lisse… Mais même si j’ai un avis sur la question, je n’ai pas à dire si c’est bien ou mal ou… En revanche, en tant qu’homme de théâtre, je peux mettre le débat sur la place publique. Et c’est ce que je fais en profitant de David Mamet. Dans la plupart de ses pièces, il aborde un fait de société. Ici, il dénonce le puritanisme excessif que l’Amérique a développé dès les années 90. « Oleanna » permet de parler de ces dénonciations qui sortent dans la presse quasiment de manière quotidienne depuis quelques années. Mais où se trouve la limite, comment la repérer, la définir, l’analyser, c’est très compliqué car c’est sociétal. Par exemple, ce que nous dénonçons aujourd’hui pour du paternalisme de mauvais goût était toléré, voir presque souhaité, il y a trente ans. Ce n’est pas pour ça que c’était bien mais la société fonctionnait autrement…

Si le harcèlement est l’amorce de départ, le sujet fondamental est le conflit relationnel entre deux êtres façonnés différemment car de milieux et d’époques distincts.

Pensez-vous que nous sommes face à une pièce politique ?

Mamet met en question la nature des rapports sociaux, économiques et psychologiques des êtres vivant une situation de crise à un moment donné dans une même société.

Je ne pense pas qu’il a écrit une pièce militante à l’époque, et je ne pense pas qu’il faut l’aborder comme ça aujourd’hui, mais c’était un avertissement et il est toujours d’actualité. Il pose les questions, il met le débat dans l’agora. C’est bien d’avoir rééquilibré certaines valeurs dans les rapports homme/femme mais il ne faut pas que cela devienne des croisades acharnées avec les défauts qui en découlent. Il dénonce l’excès de ‘réglementation’, il bouscule le politiquement correct. La pensée unique n’est pas bonne, il y a des nuances dans l’existence et dans la vie en communauté.

Que pouvez-vous dire sur les personnages ?

John est un professeur d’université, la quarantaine, marié, père depuis peu, il est sur le point d’acheter une maison car il va être nommé à son poste. On peut dire qu’il a eu une vie facile jusqu’ici, il vient sans doute d’un milieu aisé qui l’a poussé à faire des études, études qu’il a réussies naturellement mais sans passion. Ça ne l’a pas captivé et il est arrivé dans l’enseignement un peu par hasard. Cependant, il s’est trouvé une passion dans sa relation aux élèves. Il croit par sa méthode, mélange de paternalisme et de « coolitude », être dans le bon et sa fierté fait qu’il ne pense pas à se remettre en question. C’est un professeur qui préfère inciter à chercher que chercher à imposer.

Carol est une jeune étudiante qui a dû cravacher pour entrer à l’université et qui ne s’imagine un futur que par la réussite de ses études. Elle dit, presque que comme un leitmotiv, ‘je dois réussir’, et ‘apprenez-moi, apprenez-moi’. Il y a chez elle, ce besoin de s’élever par les études et aussi cette obligation d’y arriver car c’est la seule issue qu’elle imagine. Ce n’est pas la soif de connaissances qui l’a poussée à l’université mais le symbole de l’ascension sociale, l’accès au mérite.

Elle abrite une violence qui provient, en partie, du milieu dont elle vient. C’est une pure et dure, une terroriste de l’esprit. Elle a le langage et les méthodes des révolutionnaires mais sans utopie, elle bosse pour elle.

Ils ne se rencontrent pas car elle ne peut pas comprendre que son professeur dénigre les études universitaires alors qu’il en est un représentant. La tête bourrée de questions, de colères et de désirs de révolution, elle aimerait être entendue, prise au sérieux.

Ils flottent comme des bouchons sur une mer agitée. Ils sont portés par les vagues de générations différentes, de sexes différents, de niveaux économiques différents (il est aisé, elle se bat pour payer ses cours), de responsabilités sociales différentes (il est père de famille, elle est seule), d’âges différents (il est plus réfléchi, elle plus excessive), … Elle veut ‘être’, il préfère ‘avoir’ !

Comment avez-vous abordé la scénographie ?

​Je voulais absolument quitter le bureau qui me semblait un lieu daté, fermé, poussiéreux, pour ouvrir un maximum. De nos discussions avec Lionel Lesire est venue naturellement l’idée d’agora et de prise de parole au centre de l’université car même si on est face à un dialogue à deux personnages, on se rend compte assez vite qu’il y a plein d’autres intervenants dans cette histoire. Nous sommes donc partis de l’idée d’un auditoire et, pour rester proche de Mamet, nous avons plutôt cherché du côté anglo-saxon avec cette image d’Épinal des universités aux beaux auditoires en bois avec pupitres et marches dans le même ton. C’est chaleureux mais, attention, le bois, c’est plein d’échardes et ça peut être glissant et donc blessant…

David Mamet

​Entretien avec Florian Zeller

Né en 1947 à Chicago, David Mamet a étudié le théâtre à la Neighborhood Playhouse School of the Theatre de New York. Il a commencé sa carrière comme acteur et fondé en 1976 la Saint Nicholas Theatre Company. Il enseigne l’art dramatique dans plusieurs universités américaines et a travaillé comme directeur artistique du célèbre Goodman Theatre à Chicago. Il est l’auteur de nombreuses pièces parmi lesquelles Glengarry Glen Ross qui a reçu le prix Pulitzer, le New York Drama Critics Circle Award (1984) et le Tony Award (2005). Il a également adapté des œuvres de Tchekhov. Pour le cinéma, il a signé les scénarios de The Postman Always Rings Twice, The Verdict, The Untouchables, … puis il a réalisé ses propres scénarios avec House of Games, Oleanna, Homicide, The Spanish Prisoner, Heist, Spartan et Redbelt.

​David Mamet est aussi l’auteur d’essais sur le théâtre et de recueils de poèmes.

Oh, to be in Oleanna,
​That’s where I’d like to be, 
​Than be bound in Norway, 
​And drag the chains of slavery. 
​In Oleanna land is free, 
​The wheat and corn just plant themselves
​Then grow a good four feet a day, 
​While on your bed you rest yourself.
​(Chanson écrite en 1853 par le Norvégien Ditmar Meidell)
​En 1992, David Mamet titre sa pièce, « Oleanna », du nom d’une chanson folklorique évoquant une colonie paradisiaque où la nature devait nourrir ses habitants sans qu’ils ne fassent aucun effort, et où ils deviendraient des princes. Dans ce village utopique d’Oleanna, les rapports femmes/hommes sont parfaitement harmonieux et purs, l’école est libre, sans notes, sans examens, ni classe. Mamet utilise ici un rêve folklorique pour dénoncer les tenants d’une société idyllique où tout est propre, sans tâche, où la perfection est la norme et les abus, inconnus.